samedi, décembre 16, 2006

20 000 Marocains atteints par la blogomania

  • On en comptait seulement une dizaine il y a deux ans, aujourd’hui des célébrités se dévoilent sur le net.
  • Deux blogs marocains, Jankari.org et mshjiouij.com, sont mondialement classés parmi les meilleurs.
  • Avantage : écrire quand on veut, comme on veut. Mais il faut être disposé à dévoiler des pans de sa vie privée.


Encore timide en 2004, puisqu’on ne comptait alors pas plus d’une dizaine de blogs, la blogosphère marocaine, ou «blogoma», brille par le nombre de plus en plus important de ceux qui s’y adonnent, par la diversité et la qualité thématique et rédactionnelle des sujets abordés. Leur nombre ? Difficile de le connaître avec exactitude (on compte actuellement 80 millions de blogueurs à travers le monde), du fait que des dizaines de blogs marocains se créent et disparaissent tous les jours), mais on les estime à environ 20 000 à l’heure actuelle. Ce nombre est appelé logiquement à s’étoffer davantage, ne serait-ce qu’en raison du nombre de plus en plus grand d’internautes qui surfent sur la toile (on les estime à 5 millions, dont 358 000 abonnés, à 98% sur ADSL).

Pour vous en convaincre, cliquez sur maroc-blogs.com. En un clin d’œil, vous aurez droit à un premier annuaire. Dans cet annuaire, vous tomberez sur l’inévitable Larbi.org, l’un des plus populaires de la blogosphère marocaine. Sa devise affichée (chaque blogueur donne un nom à son blog) en première page de son blog : «Comme si vous jetiez une bouteille à la mer». Et pour cause, c’est depuis Paris, où il réside (mais la toile a-t-elle des frontières ?), que Larbi a créé son blog en octobre 2004, a écrit son premier billet, comme on jette effectivement une bouteille à la mer. Comment en a-t-il eu l’idée ? Il le raconte lui-même sur son blog : «Vendredi 15 octobre 2004, 8h12 du matin dans la ligne 12 du métro parisien. Comme chaque vendredi, je lis Libé en commençant par la chronique de Daniel Schneidermann : Médiathèques. L’ancien chroniqueur télé du quotidien Le Monde, licencié pour avoir critiqué la position de sa direction lors de la sortie de l’ouvrage très critique vis-à-vis du quotidien, La face cachée du monde, puis embauché par Libération, évoque ce jour-là le phénomène des blogs. «J’ai beau surfer sur le net, écrit-il, c’est la première fois que je fais attention à l’ampleur de ce phénomène». Le chroniqueur de Libération a une petite intuition : “Un jour ou l’autre, écrit-il, le territoire du Bloguistan devra être balisé”».

Larbi.org écrit ses billets, comme très souvent les Marocains de l’étranger, pour garder un lien quotidien avec leurs compatriotes, voire participer aux débats qui agitent leur pays. Rachid Jankari - jankari.org -, lui, a créé le sien à Casablanca et a brillé par la qualité de son produit, à tel point qu’il lui a valu une consécration internationale. Son blog a été désigné, parmi 5 500 blogs qui ont concouru dans le monde, dont celui (en arabe) d’un autre Marocain, Mohamed Hjiouij(www.mshjiouij.com), comme le meilleur en langue française par le jury de la 3e édition du concours international «Best of the Blogs», pour participer à la phase finale du concours. Le 11 novembre, après quatre semaines de vote des internautes, le verdict tombe, à Berlin : le blog marocain de Jankari est classé troisième meilleur dans la catégorie francophone, et celui de Hjiouj huitième meilleur en langue arabe.

En réalité, le succès du blogging marocain ne date pas de 2006. Déjà en 2005, Nisrine Tazi, «Cœur de Lion», blogueuse marocaine, figurait parmi les gagnants du concours de 2005 dans la catégorie des blogs en langue arabe, et «Al Jinane», le blog du journaliste marocain Tarik Essaadi a été consacré la même année par Reporters sans frontières (RSF) comme meilleur blog africain pour la liberté d’expression.

Celui de Jankari a même défrayé la chronique dans le microcosme des blogueurs marocains le jour où il publia, en juillet 2006 (après sa démission de Maroc Telecom où il était responsable de la rubrique technologie du portail Internet Menara), un billet intitulé : «Depti Gate : le billet d’avion qui a coûté

100 000 DH». L’information, relayée instantanément par des milliers de blogueurs, concerne effectivement le prix faramineux (110 389 DH) du déplacement, en mars 2006, du secrétaire général du Depti (Département de la poste et des technologies de l’information, NDLR) par intérim, en Nouvelle-Zélande pour assister à la réunion de l’ICANN (Corporation for Assigned Names and Numbers). L’information, très crédible puisque étayée par la facture du déplacement, entraîna illico presto la révocation du responsable en question. Et fait gagner, par la même occasion, à la blogosphère marocaine son premier galon : on n’était plus en face de jeunes amateurs mais de journalistes chevronnés, dotés du pouvoir d’impacter, par le biais de la toile, sur le cours des événements dans leur pays.

Et ce lauréat de l’Isic (DES en 2002) ne s’est pas arrêté en si bon chemin : le 5 mai 2006, il annonce sur son blog la création d’une entreprise de presse électronique et des services, appelée «Mit Media» (Maghreb information technology Media), avec, en parallèle, le lancement d’un magazine électronique d’information sur les TIC au Maroc et au Maghreb. Son entreprise, au lieu de créer un site web comme la majorité des entreprises marocaines, a opté pour la formule blog pour communiquer, que Jankari juge «plus simple, plus efficace et plus interactive». D’ailleurs, selon lui, «deux faits ont marqué la blogosphère marocaine en 2006 : la profusion des blogs arabophones, et les entreprises qui passent de plus en plus à la formule blog».

De quoi parlent donc les blogueurs sur la toile et comment se manifestent leurs lecteurs ? C’est très variable. Une promenade sur la toile en donne une petite idée (voir l’annuaire des blogueurs chez larbi.org et jankari.org). Il s’agit en majorité d’écrits autobiographiques, de journaux intimes, de débats sur l’actualité politique, culturelle, philosophique, littéraire, tant nationale qu’internationale. Arrêtons-nous sur boumaalif.canalblog.com, du jeune Othmane Boumaalif, très apprécié par la communauté des blogueurs. Sa devise est ambitieuse : «Un espace de tolérance, de discussion et de réflexion autour de ce qui préoccupe l’humanité.» Ambitieuse à l’instar de son auteur : 24 ans à peine, une formation médicale à la Faculté de médecine et une thèse de doctorat en informatique médicale (une spécialité encore émergente) en préparation.

Débat respectueux et serein même quand on n’est pas d’accord
Et ce n’est pas tout. Avec deux amis, il lance une entreprise spécialisée dans la création internet, SM Web Agency et tous les trois éditent un portail d’information générale basé à Casablanca, «Le courrier de Casablanca» (www.courriercasablanca.com). Othmane reconnaît qu’un blog est à l’image de son animateur. Le sien est intelligent et d’une grande sensibilité. A un lecteur qui lui demande quand il a pleuré pour la dernière fois, il répond sincèrement : «La dernière fois que j’ai ressenti le besoin de pleurer date du 2 septembre dernier. J’assurais une garde de pédiatrie, un nouveau-né était en détresse, j’ai essayé de le réanimer pendant plusieurs heures (de 5h du matin à 10h), en vain. J’appelai une structure hospitalière mieux équipée pour le prendre en charge. Pas de place disponible. Il succomba finalement, m’ôtant le sourire durant plus d’une semaine». Othmane est ouvert d’esprit : son billet «Faut-il ne pas faire Ramadan ?» du mois de septembre écoulé, lui a valu, par sa franchise, une volée de bois vert. «La profession de foi devrait émaner du cœur et non pas suivre une piètre logique de troupeau», avait-il écrit. Réponse d’un lecteur : «“Si tu n’as pas honte, fais ce que tu veux !”, disait notre Prophète», avait commenté un de ses lecteurs. Le débat est resté toutefois serein et respectueux, et, à aucun moment, il n’a tourné aux insultes.

Les lecteurs deviennent comme une famille qu’on a du mal à laisser tomber
Journalistes, publicitaires, avocats, militants associatifs, juristes, informaticiens... se prêtent désormais au jeu des blogs, expriment leurs idées et leurs préoccupations, dévoilent leur vie intime à travers photos familiales et autres confessions intimes. Un jeu d’adolescents en mal de communication et de reconnaissance ? Ce serait mal connaître le monde des blogueurs que de le croire.

Autre question : quelle est la durée de vie d’un blog ? Certains blogueurs, fatigués de devoir actualiser chaque jour leur blog, par manque d’inspiration ou sur un coup de tête, décident de fermer le leur. D’autres le font à la suite d’un déclic. C’est le cas de Mohamed Laroussi (laroussi.net), patron connu d’une agence en communication. Le 15 octobre, il écrit en effet sur son blog : «Peut-on être un patron d’entreprise, donc forcément “adulte”, être marié, donc “rangé”, avoir des enfants, donc “responsable”, rouler en 4x4, donc “riche”, et, être, en même temps, un “simple” blogueur ? C’est la question qui m’a été posée hier soir, d’une manière qui se voulait être, au début, sympathiquement provocatrice, mais qui a fini, très vite, par être terriblement maladroite. Elle m’a, littéralement, sonné, et m’a poussé, et ça ne m’arrive pas souvent, à me remettre sérieusement en question». Une semaine plus tard, il décide de baisser le rideau tout en s’excusant auprès de ses lecteurs. Aussitôt, il reçoit une avalanche de réactions qui le font revenir sur sa décision : 1 382 personnes ont lu son billet et 58 l’ont commenté. Lorsqu’on fidélise des lecteurs, on crée une famille et on a du mal à s’en séparer.

Source: LA vie économique.

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